Clotilde LEGUIL : AU-DELÀ DU CONSENTEMENT

LA SUROBÉISSANCE

Extraits de « Céder n’est pas consentir » de Clotilde Leguil, PUF, 2021

Clotilde Leguil – Photo Samuel Kirszenbaum

Clotilde LEGUIL est psychanalyste, philosophe, membre et AE* de L’École la Cause freudienne (2017-2020), professeure des universités au département de psychanalyse de l’université Paris-VIII,  auteure de plusieurs essais dont  » L’être et le genre, Homme/Femme après Lacan » ,  » « Je » Une traversée des identités »*Le titre d’AE : Analyste de l’École est délivré pour trois ans à ceux qui, au terme de la procédure dite de la passe, sont jugés susceptibles, par la Commission responsable, de témoigner des problèmes cruciaux de la psychanalyse.

Dans les premiers chapitres de son livre Clotilde Leguil tente de tracer la frontière entre céder et consentir. Consentir, « cum-sentire », c’est « se sentir avec l’autre en confiance ».1 Cela comporte un risque.

 « Céder », au sens où je le définis depuis une approche à la fois clinique et politique, ne touche pas seulement les affaires de la sexualité et de l’amour, mais aussi celle de la vie en société, celle de la vie professionnelle, celle de notre condition historique. Dans le champ du travail, de la vie professionnelle, il y a aussi des expériences traumatiques. Car le sujet a là aussi consenti à un certain engagement, depuis un contrat de travail, et le voilà pris dans tout autre chose, dans une forme d’aliénation qui peut éveiller l’angoisse. « Céder sans consentir » dans le monde du travail, c’est ne plus pouvoir répondre à ce qui est exigé, demandé, extorqué autrement qu’en continuant quand même. »2

«  Le consentement du sujet peut se voir instrumentalisé aussi bien dans la rencontre amoureuse, dans l’intimité familiale ou dans le monde du travail. (…) Il peut y avoir consentement au silence par croyance dans une autorité. Il peut aussi bien y avoir, dans le domaine du travail, désir de « bien » faire, de « tout » faire même, pour un emploi, pour un supérieur, pour un chef, au nom d’un idéal, ou d’une idéologie. Ce désir de « bien faire », lorsqu’il rencontre l’autoritarisme et parfois la perversion de l’autre, peut condamner le sujet à obéir au-delà même de son consentement. Pour le dire avec le philosophe Frédéric Gros, surgit alors la sur-obéissance3. Cette modalité de l’obéissance est une forme de soumission à ce que je ne veux pas. C’est parce que j’obéis en « me forçant » que je me sens en même temps coupable de ne pas obéir assez. C’est le principe même de ce que Freud et Lacan ont nommé le Surmoi. Plus je me force, plus je me sens coupable d’obéir sans y être vraiment mais en me contraignant moi-même. Plus je me maltraite, plus le Surmoi réclame que j’obéisse mieux. C’est en cet endroit que les exigences de l’autre rencontrent l’exigence intérieur du sujet.

Sur-obéir, ce n’est pas seulement obéir à l’autre, mais obéir au commandement intérieur qui vient de cette instance morale qu’est le Surmoi. Lorsque le sujet obéit au-delà de ce qu’il suppose qu’on attend de lui, pour prouver qu’il est bien tout entier dévoué à la tâche, pour prouver qu’il ne met aucune distance entre ce qu’on lui demande de faire et ce qu’il accomplit, pour prouver qu’il donne tout son temps, toute son énergie à ce qui devient le seul but de son existence, c’est là que la frontière entre « céder » et « consentir » est franchie. Ne plus s’autoriser à penser, ne plus avoir la moindre confiance en ce que l’on ressent, ne plus écouter ces signaux du corps qui disent le malaise silencieux, l’angoisse, parfois le dégoût, mais obéir et chercher à faire toujours mieux. Encore. La sur-obéissance est aux antipodes du désir.

Cette sur-obéissance est déjà le signe de ce à quoi le sujet a cédé, c’est-à-dire le signe de l’angoisse. À force de piétiner le désir et sur-obéir à autre chose, ça craque. Un jour, noir total. Où suis-je ? 4. »

PDF

1Clotilde Leguil, Céder n’est pas consentir, Paris, PUF, 2021, p.31.

2Idem, p.41.

Frédéric Gros, Désobéir, Paris, Albin Michel, 2017.

4 Clotilde Leguil, Céder n’est pas consentir, op.cit., p.43-45.

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