Emmanuelle BORGNIS DESBORDES : « Lire la clinique autrement – PULS-Médecine »

PULS-Médecine est un lieu où la psychanalyse vient dialoguer avec la médecine pour appréhender les corps et les symptômes autrement. Les apports de la psychanalyse et son orientation du désir et par le sujet permet aux « gens de médecine » de venir interroger autrement leur pratique, leur acte, leur désir – soit élever la clinique à plus grande dignité.

Ce que Emmanuelle Borgnis Desbordes développe dans ce texte :

« Lire la clinique autrement – PULSMédecine » – PDF

Le groupe de recherche clinique rennais PULS-Médecine propose depuis cinq ans un lieu d’élaboration de la clinique1 au sein du Centre Hospitalier Universitaire de Rennes en partenariat avec l’Institut de la Mère et de l’Enfant (IME) et la faculté de Médecine de Rennes. Cette élaboration se fait sous la forme d’ateliers cliniques dans lesquels les professionnels de santé témoignent de leur rencontre avec les patients, de leurs inventions, de leurs impasses2 et de leurs petits arrangements avec la « chair jouissante ». Ce lieu d’élaboration, de réflexion et de transmission est un rendez-vous où se côtoient des professionnels de santé d’horizons divers et aux missions variées. Ce qui leur est commun est la rencontre, dans la clinique, avec ce qu’il y a de plus « réel » ; un « réel » qui se rencontre toujours comme butée3 et qui mérite recueil. Le patient est aussi un sujet – sujet d’une dialectique, d’une structure, objet d’un fantasme et d’une jouissance « par lui-même ignorée ».4 Aussi, l’accueil que chaque professionnel de santé offre à un patient – quelle que soit la demande énoncée et la réponse médicale qui peut lui être donnée – devrait pouvoir prendre en compte la part d’inattendu qu’immanquablement la clinique recèle et trouver les mots pour dire l’inattendu.5

La médecine n’échappe pas aux nouveaux idéaux de l’époque et à son cortège de dénis. Points de rencontres, d’élaboration et de transmission, les ateliers cliniques PULS-Médecine sont de véritables laboratoires pour ceux qui font le choix de s’autoriser à présenter des situations cliniques traversées d’impasses, interrogeant en toute logique leur acte et le désir qui le conditionne.6

S’orienter de la psychanalyse pour appréhender les symptômes et les corps

Un colloque bisannuel à Rennes est l’occasion de faire connaître au plus grand nombre ce que la rencontre entre psychanalyse et médecine peut produire7 – ou ce que s’orienter de la psychanalyse peut produire dans l’appréhension des symptômes et des corps à l’heure contemporaine. La crise des vocations chez les soignants est le symptôme d’un malaise, au-delà des conditions d’exercice, celui de la civilisation.

En 1973, Lacan parle de « l’égarement de notre jouissance » quand l’Autre ne la situe plus – ce qui caractérise l’époque. Or « il lui faut bien une boussole, un régulateur, pour qu’elle soit bordée ».8 A défaut, elle livre les sujets à la démesure de leur jouissance. Aujourd’hui il y a « malaise dans la séparation », et les conséquences symptomatiques ne se font pas attendre. La médecine, souvent convoquée en première intention, est sommée de répondre aux dysfonctionnements des corps. La tendance aujourd’hui est à l’économie du sens pour rendre compte de la subjectivité humaine : « je n’en veux rien savoir », voire « il n’y a rien à savoir ». « Le symptôme en tant que trace du refoulement décline »9 et toute manifestation symptomatique – bien souvent signe de l’angoisse – est rabattue sur un signe clinique à traiter et à éradiquer. C’est ainsi que « le DSM IV produit, sous la rubrique des troubles anxieux, un continuum où se logent les phobies, l’attaque de panique, les états d’anxiété généralisée, le stress post-traumatique et les troubles obsessionnels (soient) les formes de l’omniprésence de l’angoisse »10. Ce continuum est signe d’un rapport non médiatisé entre sujet et objet, de la « montée au zénith de l’objet a » et du « déferlement de la jouissance ».11 Désorientation, mélancolisation, accès angoissés, passages à l’acte, sont autant de conséquences d’une opération de nivellement et de concordance du désir à une supposée réalité.

Se façonner un corps pour serrer la jouissance

En 2024, le groupe de recherche clinique PULS-Médecine reprend ses réflexions et convie les soignants qui le désirent à trois ateliers cliniques de janvier à juin sous le titre : « Le corps, ses découpages et ses affects ».12 À l’ère de l’égalité forcée entre les êtres et entre les sexes, le corps est devenu plus que jamais support à une identité qui vaille.13 Il apparaît comme ce à partir de quoi le sujet va pouvoir se construire un destin. Comme si « au commencement était le corps… » et que lui seul pouvait donner garantie d’existence. Comme s’il n’était pas traversé ce corps de la parole et du langage qui l’élèvent pourtant à tout autre chose qu’un organisme physiologique ! Les « conditions d’existence » au champ de l’Autre, d’où le désir tirait sa cause, ces « conditions » promues par Lacan, semblent de plus en plus niées, déniées voire exclues. Le règne de la satisfaction immédiate et le refus de toutes les frustrations poussent les êtres à se façonner des corps à la démesure de leur jouissance et à penser n’être guidé que par lui. La trace laissée dans le corps du fait d’être un sujet qui parle tend à être occultée mais elle joue sans nul doute sa partie. Aujourd’hui, « de moins en moins de crédit est accordé à la langue, (langue de l’Autre dont le sujet est de plus en plus coupé) le laissant en proie avec un corps qui ne trouve plus ses limitations. Les mots n’arrivent plus – et ne sont plus convoqués d’ailleurs à répondre aux excès de la jouissance des corps. Qu’est-ce qui peut bien faire limitation quand, du côté de l’Autre, ça ne répond plus ?

Quand la médecine traite « chaque bout de corps »

La médecine n’a cessé de découper le corps en organes distincts, elle en a même fait des spécialités et des spécialistes. Et si les avancées scientifiques sont indéniables, elles ne disent rien de ce qui anime les corps, les pulse et les organise. Aujourd’hui, les demandes faites à la médecine s’accroissent alors que les symptômes prolifèrent… L’angoisse, elle, continue de croître. « Aujourd’hui, la formule qui convient, et qui se substitue à celle de ‘Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir’ est celle-ci : ‘Seule l’angoisse transforme la jouissance en désir’. L’angoisse est en effet signal d’un réel non voilé, avec lequel le sujet est en prise directe et le fantasme comme ‘défense du sujet’ est court-circuité ».14

Chaque « bout de corps » souffrant doit être traité le plus rapidement possible dans une volonté de retour à l’équilibre, au fonctionnement. L’heure est à la découpe ! et le corps abandonné à ses jouissances ne cesse de se séparer de ce qui pourrait lui donner la seule consistance qui vaille : le fait d’être parlé. C’est pourtant l’Autre qui transforme l’organisme en corps, un corps qui réagit aux signifiants, qui est découpé par la pulsion et qui, parce qu’il est parlé, peut jouir tout seul. « Le langage est un corps subtil ».15 L’époque met en évidence une disjonction de plus en plus grande entre les mots et le corps, séparation consécutive à l’inconsistance de l’Autre qui ne joue plus sa mission d’ordonnancement. Nous assistons aujourd’hui au culte de « la vie immédiate organisée autour de l’objet plus-de-jouir… un corps (qui) devient mon seul bien propre dont je fais ce que je veux ».16 Il n’est pas étonnant que les phénomènes de corps se multiplient dans la clinique. Le corps semble être ce qui nous reste pour donner un sens à notre existence et sa découpe n’est pas sans faire écho au règne des Uns tout seuls qui ne cessent de réitérer du même : 1, 1, 1… Cette succession n’est pas répétition mais réitération…17 et elle signe l’époque.

La psychanalyse vise « à travers le dire, et l’écho qu’il induit, le réel, d’où s’origine le « confinement de la jouissance à l’Un ».18 Elle nous est d’un solide appui pour interroger dans nos pratiques l’accueil toujours particulier que nous réservons à chaque patient pour civiliser la jouissance et modifier le rapport « confiné » qu’il entretient à son partenaire de jouissance.

Emmanuelle Borgnis Desbordes

Janvier 2024

Emmanuelle Borgnis Desbordes est Maître de conférences en psychopathologie clinique, chargée d’enseignements à la faculté de médecine de Rennes 1, Habilitée à Diriger des Recherches à l’université Rennes 2, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.

Lien vers le Blog de PULS-Médecine

1 Groupe de recherche clinique PULS-Médecine composé du Dr David Briard, chef de service pédiatrie au CHU de Rennes, psychanalyste, membre de l’ACF en VLB ; Emmanuelle Borgnis Desbordes, Maître de conférences en psychopathologie clinique, Habilitée à Diriger des Recherches à l’université Rennes 2, chargée d’enseignements à la Faculté de médecine de Rennes, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP.

2 Cf. Blog de PULS-Médecine, consultable en ligne : https://www.pulsmedecine.com/

3 Cf. Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin éditeur, 2018, p. 13 : « il y a un être parlant qui se met en chemin et qui rencontre une pierre ».

4 Freud S., « L’Homme aux rats », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 207.

5 Cf. Laurent É., « Le traitement de l’angoisse post-traumatique : sans standards mais non sans principes », Revue Quarto, no 84, juin 2005, p. 28.

6 Borgnis Desbordes Emmanuelle « S’autoriser en médecine », Revue Mental, 47, 2023.

7 Le 9 juin 2023, les 4èmes rencontres PULS-Médecine avaient pour titre, « L’urgence, la solitude et l’administration du soin » en présence des Docteurs François Leguil et Frank Rollier, psychiatres et psychanalystes, membres de l’ECF et de l’AMP. Argument : https://www.pulsmedecine.com/puls-4-lurgence-la-solitude-et-ladministration-du-soin%EF%BF%BC/

8 Rezki C., « Égarements », UFORCA, 23 déc 2021, en ligne : https://www.lacan-universite.fr/egarements/ et IRONIK 49.

9 Ibid.

10 Ibid.

11 Rezki C., « Égarements », op.cit.

13 Cf. Brousse M-H. « Politique des identités, politique du symptôme » Revue du Champ freudien Orincar ? 53, 2019.

14 Porcheret B « Isolement, retrait et lien social », Section clinique de Nantes, 2021, en ligne : https://sectioncliniquenantes.fr/wp-content/uploads/2021/06/21-03-19-Porcheret-VLI-DEF.pdf

15 Lacan J. « Fonction et champ de la parole et du langage » in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

16 Lacadée P., « Chronique du malaise (III) : L’I-meute du plus-de-jouir », L’Hebdo-blog 318, 25 Nov 2023 : https://www.hebdo-blog.fr/category/lhebdo-blog-318/

17 Cf Miller J-A évoqué par Porcheret B. « Isolement, retrait et lien social » op.cit.

18 Guyonnet D., « Quand Lacan parlait aux murs », Revue en ligne Hebdo-Blog 203, 10 mai 2020, https://www.hebdo-blog.fr/lacan-parlait-aux-murs/

PODCAST : François Jubert « Coming out psychanalytique » – AFTER 4

Lien vers le PODCAST : « Coming out psychanalytique »

François Jubert, médecin, psychiatre et psychanalyste, dont l’interview a été publié en 2022, s’est joint à l’échange appelé AFTER qui a réuni quelques personnes interviewées sur les effets de leur psychanalyse dans leur vie professionnelle.

Dans ce podcast, il échange avec Élisabeth Marion des différentes acceptions de son expression « Coming out psychanalytique », ainsi que des effets de son interview et sa publication auprès de quelques uns de ses patients.

Voici le lien vers l’interview de François Jubert : « Attraper le symptôme de la bonne manière ».

Un grand merci à AWITW pour la musique « Nobody’s know », dont il a gracieusement autorisé l’utilisation pour accompagner les podcasts tirés de la rencontre : AFTER. Il avait déjà créé une musique inédite intitulée « Nearby home », pour la vidéo de François Jubert que vous pouvez retrouver sur ce même blog. Sous ce lien, vous pourrez écouter ses autres créations : AWITW

PODCAST « Se manifester comme analysant – l’After-effect » – AFTER 2

 Être interviewé sur les effets de sa psychanalyse… revient à se déclarer comme analysant. 

C’est un effet de l’analyse que de pouvoir « sortir de l’ombre » et se présenter devant une caméra, « exposer sa parole » à un micro et ainsi se manifester comme analysant. C’est une parole qui engage, qui participe d’une orientation, qui a valeur d’acte.

Écoutons les treize interviewés qui dans cette conversation ont échangé à partir de cette expérience partagée, et qui chacun à sa façon en explicite davantage l’intention. Intention en lien avec la dimension politique de cette prise de parole qui s’éclaire dans le fil de cet échange.

ÉCOUTER LE PODCAST :

« Se manifester comme analysant L’After-Effect »

Élisabeth Marion, Nathalie Lebreton, Anis Limami, José Alvès, Nicole Busquant Le Gouedec, Yves Aurégan, Emmanuelle Andre, Véronique, Isabelle Esnault, Guillaume Miant, Ludmila Volf, François Jubert, Caroline de Diesbach, Jean-Yves Marion.

Détails du podcast :

0.00 à 3.00 :  Introduction, Anis Limami, chercheur à l’INRAe, professeur à l’Université d’Angers – « Sortir de sa réserve », Élisabeth Marion, réalisatrice des vidéos – « Parier sur les effets », Guillaume Miant, psychologue en pédopsychiatrie.

3.00 à 11.20 : « Prendre ses responsabilités », Nicole Busquant Le Gouedec, enseignante – « Un acte qui engage », Véronique, cheffe de projet dans une grande entreprise – « Éthique et engagement », Ludmila Volf, artiste plasticienne et scénographe – « Être moins dupe » : Yves Aurégan, chercheur en acoustique.

11.20 à 18.30 : « Un coming out psychanalytique », François Jubert, médecin, psychiatre et psychanalyste – « Soulager grandement », Jean-Yves Marion, historien, ayant travaillé dans une grande entreprise – « Donner accès à la psychanalyse » : Emmanuelle Andre, psychologue clinicienne – « Un point de Capiton » : Anis Limami.

18.35 à 25.00 : « L’amour de savoir », Caroline de Diesbach, comédienne, metteuse en scène et autrice de théâtre – « Exposer sa parole » : Isabelle Esnault, infirmière en pédopsychiatrie – « Sortir de l’ombre » : Nathalie Lebreton, infirmière en psychiatrie – « Un effet de ré-animation » : Ludmila Volf – « L’œuvre au travail » : José Alvès, art-thérapeute – « Boomerang » : Isabelle Esnault – Conclusion « On y met du sien » : Anis Limami.

Argument :

Si l’on vient à la psychanalyse car on se cogne contre le réel, l’impossible, l’insupportable, l’analyse permet une élucidation – un gain de savoir – mais pas seulement.

Comme nous le rappelle Clotilde Leguil dans son livre « Céder n’est pas consentir », la psychanalyse vise à nous permettre de trouver ou retrouver l’accès à notre désir ; c’est cela l’éthique même de la psychanalyse : ne pas céder sur son désir, ainsi que le formule Lacan.1. Et par une orientation vers le réel comme le souligne Jacques-Alain Miller2, elle permet aussi que quelque chose change pour chacun dans son rapport à l’inconscient et à son mode de jouir. Un savoir-y-faire avec son symptôme peut en résulter, c’est-à-dire un « savoir se débrouiller avec. »3

Le pari de ces vidéos est de montrer, par le biais de la vie professionnelle, en quoi le singulier a une valeur incomparable. Les effets d’invention, que chacun des interviewés explicite, sont aussi essentiels dans le milieu du travail, donc dans le champ social.

Et, le rapport à la parole se modifie.

Ce point, beaucoup d’interviewés l’ont exploré, notamment dans ce Podcast où  la question de la prise de parole est centrale. 

Merci à AWITW pour la musique « Nobody’s know », dont il a gracieusement autorisé l’utilisation pour accompagner les podcasts tirés de la rencontre : AFTER. Cette musique est une création originale. AWITW avait déjà créé un morceau inédit pour la vidéo de François JubertEt sous ce lien, vous pourrez retrouver ses autres créations : AWITW

Lacan, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, p.368.

2Jacques-Alain Miller « Vers le réel », in UFORCA, Comment s’orienter dans la clinique ? Le Champ freudien éditeur, 2018.

Vincent Moreau « Un engagement pour la vie »

« La psychanalyse va toujours chercher ce point de vivant. »

Vincent Moreau, dans cet interview fait le lien entre sa propre psychanalyse – ce qu’elle a changé pour lui-même, ce qu’il a découvert – et ses conséquences dans son travail auprès de ses patients. D’abord médecin, il met en valeur  l’importance de prendre en compte ce qui se passe du côté du corps. 

Cette importance du corps, il a éprouvée dans sa propre analyse et « cette question du corps qui a été entendue » lui a permis d’aller jusqu’au bout.

Vincent Moreau est médecin, psychiatre et psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse.

« Arriver à la fin de son analyse, c’est quand même précieux. On est changé dans la façon dont on aborde chaque sujet ».

Vous pouvez retrouver Vincent Moreau sur ce blog, dans un texte clinique très fort, tiré de sa pratique, intitulé : « Je n’arrive plus à travailler ». 

 

François Jubert « Attraper le symptôme de la bonne manière »

« Ce que la psychanalyse nous apprend et nous enseigne, c’est d’être (…)

docile au symptôme. »

François Jubert est médecin, psychiatre et psychanalyste.

Il doit ce positionnement à sa propre cure où il a pu éprouver qu’ « à vouloir éradiquer le symptôme coûte que coûte, on erre, on est perdu, ça insiste, ça encombre, ça ne résout rien ! »

Il l’a éprouvé pour lui-même et en a tiré enseignement pour ses patients.

La rencontre de sa psychanalyste a été décisive : l’entraînant avec ses « interprétations fracassantes » du côté de la vie et de la gaieté – à écrire aussi : gay-té !

Merci à AWITW pour la création musicale originale intitulée « Nearby home » dont il a généreusement et gracieusement autorisé l’utilisation pour la vidéo de François Jubert. Ce morceau remarquable de musique électronique accompagne et habille somptueusement l’interview.

Une autre création originale de AWITW : « Nobody’s know » accompagne les podcasts en lien avec l’AFTER des interviewés. 

Voici un lien vers les musiques de AWITW

Patrick Briend « Être un médecin apaisé, libérer la parole »

Patrick Briend est médecin généraliste dans la région de Saint Malo.

Dans cet interview, il dit ce que son expérience de la psychanalyse a changé à sa pratique de médecin.

« Je me sens plus disponible. C’est venu me surprendre, cette aisance : me sentir moi-même physiquement à l’aise. C’est vraiment des effets de la psychanalyse de se sentir à l’aise dans son corps. »

« C’est le fruit de mon travail en psychanalyse de pouvoir être plus à l’écoute à la fois et plus serein »

David Briard « Bouffée d’oxygène en pédiatrie »

Pédiatre, responsable du service de médecine pédiatrique au CHU de Rennes, David Briard montre dans cet interview les effets de sa psychanalyse dans sa pratique.

« De par nos pratiques très médicales, on peut très bien enfermer quelqu’un dans sa maladie…

S’occuper des malades… et pas que de leurs maladies !

est une préoccupation permanente de tous les soignants. Ma psychanalyse a eu pour effet que progressivement j’introduise dans le service de nouvelles inventions, avec comme visée de rendre plus vivants nos patients, leur faire mieux accepter leurs traitements, mieux s’accepter eux-mêmes.

Ces inventions comme « Bouffée d’Oxygène » et « Coup de Pouce » – il y en a bien d’autres – cherchent à faire sortir les patients de l’ordinaire du « bouillon médical », pour repartir autrement de cet hôpital, remordre la vie autrement. Une autre invention, le nec plus ultra ! est : « la conversation avec les patients ».

Toutes ces inventions, qu’il s’agisse d’une sortie, ou d’une activité comme le jardinage… sous-tendent la recherche d’un effet du côté de l’énonciation du patient, de la subversion du médical… C’est avoir une haute idée du pouvoir des mots et pourtant, de l’analyse on en ressort humblepuisqu’il faut laisser la place à ce que les inventions « langagières » viennent du patient comme du soignant.

De ces inventions, Puls médecine, s’en fait l’adresse. Puls ! fait signe aux gens de médecine. Son éthique est de donner valeur, d’isoler chez le soignant ce qui compte – l’acte – , propre à chacun, car c’est ça ce dont les gens se souviennent : ce qu’on fait pour eux… on apaise, on évite le trauma. »

Voici le lien vers  Puls médecine

Isabelle Galland « En milieu médical, psychose et psychanalyse »

Isabelle Galland est psychologue aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg dans un

service de médecine consacré aux malades du sida.

« Les personnes (…) en grande précarité psychique, ce sont celles-là qui meurent du sida aujourd’hui, ce sont celles-là qui ont des difficultés à être accompagnées, à prendre leur traitement, à pouvoir venir à l’hôpital, à être observantes. Et parfois, le fait de venir me voir, ça peut être un ancrage. »

« Être à l’écoute de ce dont (ces patients malades du sida) avaient envie de parler, de ce dont ils pouvaient parler. C’était approcher ce qui pouvait être innommable, intraitable, autour de la maladie grave, du corps atteint. (…) C’est grâce à la psychanalyse que j’ai pu écouter ces patients, les accompagner. »

Isabelle Galland est psychologue et psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.

Gérard Seyeux « De l’être médecin à la psychanalyse et retour »

Gérard Seyeux retrace dans cet interview l’évolution de sa pratique de

médecin orienté par la psychanalyse.

Sa propre psychanalyse lui « a permis de laisser la parole aux autres d’une façon qui n’est pas tout à fait celle qu’on trouve dans les consultations médicales habituelles où on sait ce qui est bon pour l’autre».

Gérard Seyeux est membre de l’Ecole de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse. 

Lettre de Normand CHABOT

TOUBIB OR NOT TO BE 

Normand Chabot

PDF

Normand Chabot est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Président fondateur de « parADOxes », un lieu et un lien pour les 11-25 ans – consultations psychanalytiques gratuites – ateliers CV et d’écriture.

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Paul, la quarantaine, consomme depuis l’âge de 18 ans toutes sortes de produits. Issu d’une famille en grande souffrance, il parvient à faire de longues études dans le champ médical. Je l’ai reçu en Centre spécialisé pour addictions.

Tristesse, dépression, angoisse sont les trois mots d’ordre qui le poussent à poser une demande urgente. Il est épuisé de vivre, rien ne tient. L’inconsistance épingle ce sujet au bord du gouffre : il veut tout lâcher.

L’instabilité le détermine : Paul est un médecin gravement malade, un ancien urgentiste dans l’urgence psychique et socio-professionnelle, un alcoologue alcoolique, un prescripteur toxicomane, une oreille sans voix et, enfin, une voie sans but. Le suicide lui semble une solution possible.

De ces symptômes Paul connaît le nom, les raisons et les remèdes. Il ne sait pas tout, puisqu’il consulte à tire-larigot : médecin, psychiatre, acupuncteur, ostéopathe, etc. C’est suite aux échecs thérapeutiques répétitifs, qu’il me contacte pour entamer une analyse. Paul veut un autre lieu et un autre lien, pour paraphraser Jacques-Alain Miller.

Pour Paul, il y a une tentative de chiffrer la jouissance dans le corps, de la localiser de façon précise sur la fonction d’un organe. La drogue serait ainsi une solution pour condenser la jouissance au niveau du corps.

Devrons-nous accepter l’annonce de Paul de démissionner, voire d’entreprendre une reconversion professionnelle ? Cette question est cruciale, d’autant que j’ai l’impression que le choix de devenir médecin a été sa façon, en mobilisant tout un savoir, de trouver une fonction aux organes, une raison aux comportements.

Mais Paul a la malencontreuse intuition qu’il sera pour l’éternité, la tête de Turc idéal, le souffre-douleur de l’univers. Il parcourt ainsi la France, de cures en post-cures, de cliniques en hôpitaux psychiatriques, traînant sa dépression noyée d’addictions diverses, toujours avec les mêmes difficultés relationnelles (avec les collègues, les connaissances et aussi avec les femmes).

Paul a pu me donner quelques coordonnées de ce qu’il nomme ses « graves rechutes » : ce sont les relations amoureuses avec les femmes. Lacan disait, dans ses conférences aux USA, que la psychose est une sorte de faillite de l’amour.1

Suite à une mauvaise rencontre sentimentale, Paul sera littéralement atterré, il viendra déposer en entretien son scénario, avec son invariable unhappy end.

Les séances d’analyse ont permis de contenir son désespoir, en soutenant un moi-idéal : bord subjectif qui jadis n’avait pas de limites. Avec l’appui de cet autre fiable bien que sans garantie qu’est l’analyste, Paul a pu reprendre son bâton de pèlerin – son errance est désormais cadrée – en maintenant un lien socioprofessionnel plus pacifié. Toubib il est redevenu, pratiquant à son rythme, sans trop d’attache ni de décrochage. Ce ne fût pas sans effort avec quelques conseils, ni sans l’œuvre de certains interdits. L’oxymore demeure un outil pragmatique quand le corps et la langue foutent le camp. En un mot : comment accompagner un corps déserté qui manque d’une langue pouvant le représenter ? Il faut être deux, dans ce duo singulier qui se nomme psychanalyse.

Normand Chabot 

le 20 février 2019

1 Scilicet n°6/7, 1976, p.16.