LE MATÉRIEL HUMAIN de Aurélie PFAUWADEL

Aurélie PFAUWADEL est membre de l’École de la Cause freudienne, de l’Association Mondiale de Psychanalyse, et AE en exercice : ce titre d’Analyste de l’École est délivré pour trois ans à ceux qui, au terme de la procédure dite de la passe, sont jugés susceptibles, par la Commission responsable, de témoigner des problèmes cruciaux de la psychanalyse.

Extraits 1

L’organisation contemporaine du travail s’imprime profondément dans la chair et dans les paroles des homo-economicus que nous sommes. Les psychanalystes entendent quotidiennement ce que le travail fait aux corps parlants et ce qu’ils en font aussi bien. Accueillant une variété bariolée de gens exerçant toutes sortes de métiers, ils en apprennent long sur les recoins les plus insoupçonnés du « monde du travail ».  […]

En psychanalyse aussi, le terme « travail » appartient à notre clavier conceptuel : du travail du rêve, qui a conduit Freud à inventer la psychanalyse, à la thèse lacanienne de l’inconscient comme « travailleur idéal2» qui turbine au service de la jouissance, sans jamais se fatiguer, jusqu’au travail du transfert qui, par amour adressé au savoir, met à la tâche de cerner le chiffre de sa destinée. Il est notable que Lacan, lorsqu’il formalise les différents types de liens sociaux sous la forme des quatre discours, désigne l’une des places comme étant celle du « travail ». Qu’est-ce à dire sinon que dans tout lien social, ça travaille, mais qu’il ne s’agit pas de la même production, ni du même travail, en fonction du discours que ça vient servir ?

Que l’injonction « Travaille ! » soit l’impératif par excellence du discours du maître, cela ne date pas d’hier. [Mais …] L‘armature symbolique qui attachait les sujets à des métiers ou des entreprises, leur procurant reconnaissance narcissique et sociale, solidarités et idéaux collectifs, a été attaquée à l’acide par les conditions modernes de travail. […]

L’inventivité perverse des méthodes de management pour maximiser la productivité, l'(auto)évaluation permanente, l’angoisse panique du chômage poussent les travailleurs au bout de leurs limites.  « Risques psychosociaux » et « burn-out » viennent nommer la menace de cassure qui plane sur le « matériel humain » dès lors que le travail agresse le nouage symptomatique qui amarre un sujet. 

Le 25 juin 2020

1 Ces extraits sont publiés ici avec l’aimable autorisation de leur auteure. Le texte dans sa version intégrale est l’éditorial du N° 99 de la revue LCD, La Cause du désir, « TRAVAILLE ! » SUIVRE CE LIEN, Navarin Éditeur, Paris, 2018, p.6-7.

2 Lacan J., « Télévision », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p.518.

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