SORTIR DU HORS LIMITE DANS LE TRAVAIL

Michel Grollier est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, et professeur de psychopathologie clinique à l’Université de Rennes 2.
Il s’était retrouvé chez un psy après avoir constaté qu’il ne pouvait pas en faire encore plus dans son travail. Il s’était alors effondré et réfugié dans ce qu’il nomme sa dépression. Issu d’un milieu croyant, pétri de valeurs, il s’était lancé dans sa vocation enseignante, animé par une volonté de « porter la bonne parole ». Il avait bien entendu choisi un cadre institutionnel confessionnel après s’être marié avec une jeune femme longtemps fréquentée, rencontrée lors d’une retraite religieuse. Ils ont rapidement plusieurs enfants. Dans le couple, c’est lui qui assume toutes les charges administratives et au bout de peu d’années, il constate qu’il n’assure plus, que la transmission n’est pas satisfaisante et que l’épuisement le terrasse. Il sera arrêté deux ans, sous traitement antidépresseur, accompagné d’un psychiatre « qui le sort du trou » dit-il. Après avoir repris le travail, il se laissera de nouveau gagner par sa volonté de faire, « de servir » et prendra de nouveau des responsabilités. Jusqu’à se retrouver à la tête d’un important organisme.
C’est durant cette période qu’il vient me rencontrer. Le « trop » ne l’atteint plus directement, mais se répercute sur sa famille et il a l’idée que le risque est grand ; il veut savoir ce qui l’entraîne et le contraint. Sa femme, qui a été malade, a pris ses distances, mettant en cause leur intimité de couple. De plus, ils ont à traiter de graves problèmes de santé chez les enfants.
Confronté à l’interrogation que j’incarne, un « pourquoi » qui en fait le taraude, il déplie et interroge alors tous les idéaux qui le conduisent dans ses actes, les déclinants et les soupesant à l’aune de son expérience. Au fond, il se découvre moins dupe de ceux-ci, interrogeant la façon dont le collectif interprète ces mêmes idéaux et les faisant ainsi chuter un à un. Il questionne « l’adhésion à des valeurs transmises » qu’il « s’est accaparées » dit-il un jour, mais qui « font partie de lui désormais » rajoute-t-il. Ce constat qu’il m’énonce lui donne alors une distance satisfaisante vis à vis de ses contraintes, cela ne le conduit pas à un rejet global de forme cynique, mais à relativiser la part de son action dessus.
Et c’est ainsi qu’après avoir mené à bien une importante mission, il demandera a intégrer un poste moins prenant, qui lui laissera du temps pour se repositionner dans sa vie personnelle.
Il lui reste alors à interroger sa vie intime, à saisir ce qui, chez son partenaire, lui fait encore obstacle, ce qui relève de ce qu’il peut endosser, et ce qui reste l’apanage de sa femme. Le transfert a alors changé, il ne déconstruit plus mais bâtit à tâtons, cherchant dans ce qui lui fait retour ce qui l’autorise. Sa question passe de comment interpréter l’autre ? à que souhaite-t-il pour eux ? Le travail est toujours là, avec la part d’idéal nécessaire à son action, mais le sujet s’est repositionné au cœur de la question de ses choix et déplace ce qui pour lui fait lien social.