Lettre de Nathalie MORINIÈRE

Nathalie Morinière

EXPERTE

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Nathalie MORINIÈRE est membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse

Divorcée depuis un an, Annie demande à rencontrer un psychanalyste pour tenter de traiter l’angoisse qui l’envahit et l’empêche d’assumer sa fonction de directrice d’une grande entreprise, ce qui est tout nouveau pour elle. Annie se présente comme une battante. En plein divorce, elle souhaite prendre sa revanche sur la vie, et rebondir suite au laisser-tomber de son mari. Elle veut prouver à tout le monde qu’elle est « une femme capable d’être à la hauteur de ses propres ambitions, et tel un homme d’occuper un poste de chef d’entreprise », dit-elle. Récemment recrutée par un grand groupe financier, Annie ne compte pas ses heures de travail. Son investissement professionnel lui permet « d’oublier son chagrin » et de tromper l’ennui à l’idée de se retrouver seule le soir, dans son studio. Mais c’est sans compter l’anéantissement qui la guette. Coincée dans cette spirale de devoir travailler toujours plus, et prise dans ce qui la déborde, Annie ne parvient pas à renoncer à cette position de jouissance morbide. Elle décide de se faire aider par un coach pour tenter de faire face aux impératifs financiers attendus. Mais rien n’y fait. Annie est abattue et se désespère en pensant à l’avenir. Âgée de 48 ans, elle craint de « finir comme sa mère et d’être conduite au suicide ».

L’analyse va lui permettre de nommer l’absurdité de son épuisement et l’autoriser à prendre les décisions qui lui conviennent.

Au cours d’une séance, elle dit : « je suis un espert dans le domaine ». Ce signifiant « es-pert » que je fais résonner, va inaugurer une temporalité nouvelle dans le travail de la cure. En un éclair, Annie mesure la portée de cette équivoque homophonique qui vient toucher cette part de jouissance indicible. « Es-pert » et non pas « experte », ce lapsus évocateur est propice au déchiffrage du symptôme. Annie m’explique avoir toujours souhaiter répondre au vœu de son père qui désirait avoir un fils afin qu’il puisse reprendre la relève de la ferme. Elle « s’est battue toute sa vie pour obtenir sa reconnaissance » dit-elle avec amertume. Elle garde en elle la marque de son manque d’amour et l’absence de reconnaissance de sa part, malgré tous les efforts déployés pour se faire aimer de lui. Il lui fallait ressembler à un homme pour tenter d’obtenir le regard de son père qu’elle admirait plus que tout.

Suite à cette élaboration, un rêve se produit et lui permet de dénouer ce qui, dans son inconscient, avait été refusé. Dans la scène onirique qu’elle énonce, son père est en larmes et elle ne sait que faire pour le consoler. Avec l’analyse du rêve, elle épingle le signifiant « larmes » qu’elle fait résonner : « larmes » devient « l’arme », objet phallique par excellence auquel elle-même, s’est identifiée. Par cette équivoque, elle réalise la position d’identification masculine qu’elle occupe et qui lui permet de faire exister par la voie du symptôme, le phallus imaginaire.

Ce moment-clé dans l’analyse l’autorise à accueillir sa position de femme. Dès lors, Annie ne sera plus déterminée par cet impératif surmoïque à « faire l’homme » et saura trouver les moyens nécessaires pour changer de travail et occuper un poste qui correspond à un nouveau désir : « celui de prendre soin d’elle tout en mettant en œuvre sa réelle expertise ».

Le 08 juin 2019

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